vendredi 12 octobre 2007

Le carburant vert jaillira-t-il des océans?

Les océans et les mers constituent le second grenier alimentaire de l'humanité, sans doute la source ultime de protéines. Mais ce sont peut-être aussi notre future source de carburants liquides, neutres en CO2, le nouveau gisement duquel on va extraire les biomatériaux, bioplastiques et autres fibres qui prendront le relais des hydrocarbures d'origine fossile, au fur et à mesure de leur épuisement. Il y a un peu plus de dix ans, de nombreuses équipes de recherches se sont lancées dans l'étude des algues. Si leur usage dans l'alimentation et la cosmétique est bien connu, l'intérêt des algues pour produire de l'essence ou du diesel était tombé en désuétude dès l'effondrement des prix du pétrole. Depuis deux ans, tout a changé: en Europe comme aux Etats-Unis, les chercheurs multiplient les communications scientifiques. Pour plusieurs équipes, l'avenir de la production de biocarburants ne se jouera en réalité plus dans les champs car les besoins alimentaires limiteront de facto l'utilisation de la biomasse à des fins énergétiques. A l'inverse, la production d'algues n'est a priori pas limitée par la contrainte des surfaces. Des travaux planchent sur la création d'étangs géants qui seraient dédiés à la production d'algues, certaines produisant naturellement de l'huile, donc une source de diesel, et d'autres livrant des sucres et donc une source de bioéthanol. Des étangs qui pourraient également servir de bioréacteur naturel pour absorber des déchets et épurer des eaux souillées.

Selon les chercheurs danois de l'Institut national de recherche environnementale (NERI-DMU), l'algue très connue, la laitue de mer (Ulva lactuca) serait une bonne candidate pour la production de bioénergie. Selon leurs estimations préliminaires, il est possible de produire (théoriquement) 700 fois plus de biomasse par hectare avec des algues en comparaison d'un champ de blé. De plus, la laitue de mer a une croissance très rapide et contient un pourcentage élevé d'hydrates de carbone. L'Ulva et les espèces proches sont largement répandues dans le monde et constituent même un problème environnemental en raison de leur prolifération (eutrophisation). Autre avantage des algues: elles poussent aussi dans les eaux salées, polluées et pas uniquement dans les aquifères d'eau douce qui se font rares. Dans le cas de la laitue de mer, sa prolifération pourrait même être stimulée par l'injection de CO2 excédentaire produit par les centrales électriques à gaz ou au charbon; les algues transformeraient indirectement le CO2 en diesel ou bioéthanol. Le laboratoire américain NREL (National Renewable Energy Laboratory), qui avait passé au crible le potentiel des macro et micro-algues, vient tout juste de relancer des recherches. Selon l'un de ses directeurs, Eric Jarvis, cité par la Technology Review du MIT, «l'envolée des prix du pétrole change la donne. L'intérêt pour les algues est immense en ce moment car ce sont sans doute de très bons candidats pour produire des biocarburants.»

A priori, le procédé le plus économique consisterait à «cultiver» des algues dans des étangs. En pleine mer, les algues risquent en effet d'être à tout moment dispersées par le ressac des vagues. Les ingénieurs imaginent des étangs clos ou de véritables plates-formes marines utilisant des tubes immergés afin de protéger les cultures et de faciliter la récolte. Des ingénieurs allemands, spécialisés dans l'aquaculture, proposent d'associer de telles fermes à des parcs éoliens en pleine mer et de production de moules et autres fruits de mer, histoire de rentabiliser d'autant les investissements offshore. Reste que la culture à l'air libre comporte un gros inconvénient: la croissance des algues que l'on cherche à favoriser entre rapidement en compétition avec d'autres organismes, qui finissent parfois par les détruire. Des projets sophistiqués prévoient de cultiver les algues dans des bioréacteurs spécifiques afin de les isoler et de développer des organismes dédiés à production de pétrole brut mais certifié «bio».

Dans une étude récente, Epobio, la plate-forme scientifique financée par l'Union européenne pour évaluer le potentiel des ressources renouvelables d'origine végétale non alimentaire (valorisation des déchets, biomatériaux, etc.), passe en revue la quasi-totalité des études consacrées aux végétaux des mers et étangs. A la lire, on constate que lepotentiel des macro et micro-algues des mers, des océans et des étangs est considérable mais se heurte à de sérieuses difficultés techniques ou économiques. Selon les auteurs du rapport, la valorisation des algues n'aura de sens que si elle s'opère dans une chaîne industrielle qui ne se limite pas à l'énergie mais englobe également les besoins de la chimie (médicaments, cosmétiques, etc.) et les processus de dépollution des sols et des eaux. Et, surtout, une meilleure connaissance des algues et des micro-organismes qui y sont associés plaide pour des mesures qui sauvegardent la biodiversité marine qui héberge 80% des espèces vivantes mais que nous connaissons encore assez mal. Ainsi, la spiruline, une algue aux multiples vertus alimentaires et thérapeutiques, fait l'objet de recherches nouvelles très intenses. Des chercheurs pensent qu'elle serait le catalyseur idéal pour produire naturellement l'hydrogène, le vecteur de l'énergie de demain dont rêve Nicolas Hayek.
Source : http://www.letemps.ch/template/economie.asp?page=9&article=216278

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